Musée de la Résistance et de la Déportation du Cher

Lecture - Joseph Kessel, "L'armée des ombres"

Un livre et un film

Le livre de Joseph Kessel

En 1939, Joseph Kessel est grand reporter de presse et romancier. Après la défaite de 1940, parvenu à Londres, il s’engage dans les Forces Françaises Libres. Il est connu pour avoir composé, avec son neveu Maurice Druon, les paroles du « Chant des Partisans », sur un air traditionnel russe.

Un ouvrage paru fin 1943

Fin 1943, à Londres, il finit de rédiger L’armée des ombres. L’ouvrage est édité à Alger, il est réimprimé à la Libération.

L’armée des ombres n’est pas un roman d’imagination. C’est un livre qui s’appuie sur les témoignages recueillis par Kessel lors de rencontres avec des résistants en mission à Londres, auxquels il se veut fidèle. Mais comme l’auteur s’en explique dans sa lumineuse préface, les lieux et les noms, voire les faits, ont été modifiés : en 1943, alors que la répression se durcit, que l’occupant et Vichy sont "sur les dents", il est impensable de prendre le risque d’une quelconque identification.

Des problématiques diverses

Par son récit, Kessel balaie diverses problématiques.

D’abord la variété des origines de ceux qui s’engagent, et pourquoi ils s’engagent : au nom de leurs idées, mais aussi par patriotisme ou par simple humanité, notamment dans la 6e partie, « une veillée de l’âge hitlérien », titre ironique, puisqu’il s’agit des confidences que se font des condamnés à mort en attente d’exécution.

Il ne tait pas la violence : celle de l’ennemi (arrestations, torture, exécutions), celle de la Résistance, éventuellement envers ses propres membres : ceux qui ont parlé, trahi, mis en danger leurs camarades …

L’armée des ombres est aussi une formidable plongée dans les conditions de fonctionnement de la Résistance, dans une France éprouvée. Kessel évoque le quotidien : les problèmes de ravitaillement, de transport, d’hébergement : comment répondre à l’errance, quand une planque est « grillée » ? La nécessité de cacher à ses proches son activité, jusqu’à susciter l’incompréhension, ou la surprise, quand on se découvre embarqués dans une même organisation.

Comment faire circuler les informations entre les agents en France et Londres ?

Kessel traite du concret, des aspects matériels, et notamment de la circulation des informations.

  • Comment communiquer avec Londres ?
    Ce sont les opérations de parachutages, de réception des petits avions venus de Londres et qui convoient des agents.
    Les agents ou les prisonniers évadés, qu’on exfiltre par la mer.
    Les émissions par radio, avec les risques inhérents.
  • Comment communiquer entre résistants ?
    Par les déplacements des « chefs » pour coordonner ou déclencher les actions.
    Avec les courriers qu’il faut transmettre, grâce aux nécessaires agents de liaison.
  • Comment communiquer vers la population, par ce qu’on appelle alors la propagande ?
    Ce sont les journaux, qu’il faut imprimer dans des conditions matérielles extrêmes.

« L’armée des ombres » offre une belle galerie de portraits.

D’abord, les principaux protagonistes : Gerbier, Félix, Lemasque, Jean-François, Saint-Luc, Mathilde, le Bison, d’âges et de conditions sociales divers… Mais aussi, au hasard des pages, Augustine Viellat, la fermière ; le baron de V… ; l’instituteur de Lyon ; le curé qui « case » les réfractaires ; les vieilles demoiselles ; le cheminot « rouge » ; le douanier ou le gendarme complices au bon moment…

Une écriture sobre.

Le style est sans fioritures. L’ouvrage, outre la préface, est organisé en 8 chapitres, le chapitre 5 étant les « notes » de l’acteur principal, Philippe Gerbier : paragraphes plus ou moins longs, récits, anecdotes, faits ou considérations sur la Résistance. Bref, « l’armée des ombres » est une plongée dans la vie de la France résistante.
Lecture utile pour appréhender la période ! Lecture indispensable !

Le film : une adaptation cinématographique en 1969

En 1969, Jean-Pierre Melville a adapté pour le cinéma L’armée des ombres.

Il en garde le titre. Si le film est globalement fidèle au récit de Kessel, avec quelques soustractions et quelques ajouts, il est moins "fourni" que le livre . Les motivations de l’engagement de chacun n’apparaissent plus.
Les personnages s’expriment peu, Melville utilise la voix off et les sous-titres. Melville est loin de la Résistance "heroïque". Il en souligne les aspects tragiques, et fait directement toucher du doigt ce que représentait la notion d’engagement...

Les rapports film / livre : des schémas narratifs différents.

Certaines séquences du film recomposent le livre, s’inspirent des « notes de Gerbier ». Certaines séquences sont différentes.

  • Dans le livre, en cellule, avant l’exécution, les présents racontent pourquoi ils sont là, ce qui permet d’évoquer les causes de l’engagement de chacun. Ce qui n’est pas le cas dans le film. 
  • Le personnage de Mathilde est davantage développé dans le livre. 
  • L’histoire de Félix n’est pas la même.

Dans l’ensemble, le film est très épuré par rapport au livre.

Si on veut travailler sur le travail d’organisation des mouvements et réseaux de Résistance, le livre est à privilégier, notamment la partie 5 « Les notes de Gerbier ». Le livre présente aussi une galerie de personnes rencontrées par l’un ou l’autre, qui fournissent une aide régulière ou ponctuelle. Le film en reprend quelques-uns.

Le film est néanmoins un grand film, d’abord par ce qu’il montre de la France de l’époque. Il campe, dans des séquences-clés, la France de l’occupation :

  • la présence allemande (Séquence pré-générique) et la répression (Scènes dans les bureaux allemands, vraisemblablement ceux de la Sipo-SD, dites Gestapo), la torture (suggérée), les exécutions.  
  • le rôle de Vichy : les camps d’internement, le rôle des gendarmes, de la police parisienne… 
  • le recrutement des résistants (celui de Jean-François). Le rôle de celui-ci comme agent de liaison ou de convoiement d’une radio. 
  • les contacts avec Londres : parachutage, opérations pick-up, exfiltration par sous-marin... 
  • une certaine incompréhension entre les résistants de France, le BCRA et les Anglais.  
  • l’errance du résistant quand il doit se cacher (Gerbier). 
  • le film campe une galerie de portraits de français actifs ou sympathisants de la Résistance : la fermière Augustine et sa fille, le châtelain, le douanier. Le coiffeur et le policier du métro ( ?)

Les acteurs sont excellents, chacun incarnant plus ou moins, par son caractère, sa personnalité, un archétype de la France résistante.

Le film évoque peu les raisons de l’engagement de chacun. Mais aux moments-clés, il montre les problèmes de conscience qui se posent à chacun : ceux de Lemasque, qui doit exécuter Dounat. Gerbier : courir ou pas sous les balles ? Tous : exécuter Mathilde ?

Nous vous proposons une analyse minutée des séquences du film, en attirant l’attention sur des séquences-clés : pour la France sous l’occupation, pour le sujet du CNRD. Avec référence au livre.

Pour une autre analyse du film, voir l'article de Gilles Sabatier en 2004.

La revue Vingtième siècle a également consacré un article au film sous la plume de Vincent Guigeno en 2001

Le livre de Kessel est disponible dans de nombreuses bibliothèques et médiathèques. 

Il existe aussi en collection de poche, et dans une version abrégée destinée aux élèves : L’armée des ombres. Editions Classiques et compagnie-Collège, n°53. Hatier. Le livret propose des extraits du film. Il comporte aussi une introduction présentant les personnages et le contexte historique, un dossier proposant des activités et des pistes de travail, partie très utile, tant pour le professeur de lettres que d’histoire. Mais le choix des extraits est toujours discutable.

Pour le livre en édition intégrale : L’armée des ombres. Editions Pocket n°2643 et pour les amateurs de luxe, Kessel est désormais dans la Pléiade

Couverture du livre de Joseph Kessel, "L'armée des ombres"
Couverture du livre de Joseph Kessel, "L'armée des ombres"
Affiche du film de Jean-Pierre Melville, "L'armée des ombres"
Affiche du film de Jean-Pierre Melville, "L'armée des ombres"
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